Le feuilleton d’Alain 2e épisode : de Saint André d’Apchon à Soumans

En  chemin

Lundi 18 avril : entre  Saint André d’Apchon et La Chabanne

Suis-je prêt ?

Prêt à cet inconnu, à la solitude sur le chemin au moins pendant les cinq à six cents kilomètres prévus jusqu’à TOURS ?

Tout départ est un exercice de lâcher prise, d’abandon, un passage à gué périlleux vers la confiance et la liberté.

Tout départ donne à ressentir l’intensité de ce qui nous relie à ceux que l’on quitte.

J’éprouve un certain flottement des premiers pas dans la solitude, curieuse ivresse entre liberté et incertitude. Cette même sensation me submerge à chaque départ et me ramène à un premier voyage au désert et aux plus lointains départs vers les Causses et les Cévennes dans les années 70.

Sensation d’être tout entier là, indépendant, autonome, avec sur le dos un sac qui contient l’essentiel pour le jour et les quelques semaines à venir.

La nature parfaitement silencieuse, paisible et sereine m’accueille avec ses parfums et couleurs de printemps.

N’aurai-je jamais connu qu’elle ?

Existe-t-il encore à quelques dizaines de kilomètres de ce lieu, un monde d’agitation et de pression, de stress et de vitesse, de bruit, de plaintes et de contraintes ?

 

Mardi 19 avril – de LA CHABANNE à SAINT YORRE

Partir au printemps est une source d’émerveillement quotidien :

profusion, abondance :  parfums,  couleurs. Générosité de la nature…

 

Etonnement devant le panneau « déviation du GR 3 et GR 463 pour cause de chantier des éoliennes »

J’hésite à suivre la déviation proposée.

Je m’interroge sur ma manière de réagir face à ce qui me détourne, me distrait du chemin que je me suis fixé.

 

Mercredi 20 avril – SAINT YORRE – GANNAT

Face à l’inconnu concernant mes hébergements, je chante « In Deo speravi ». Dans chaque église ouverte, je laisse monter comme un appel. Il reviendra au fil des jours comme un rituel m’invitant à la confiance.

Plus loin, reviennent  à ma mémoire  quelques lignes extraites du « Journal » de Julien Green : « le but de la prière est peut-être moins d’obtenir ce que nous demandons que devenir autres…Demander quelque chose à Dieu nous transforme peu à peu en personnes capables de se passer quelquefois de ce qu’elles demandent. »

 

L’étape est courte : je suis à l’Office du Tourisme de Gannat à 15 heures, où l’on me confirme l’existence de l’Auberge de Jeunesse, au sein de la Maison du Folklore.

La gentillesse et la spontanéité de l’accueil de Marie-Agnès et Sylvie sont étonnantes : à peine ai-je pénétré dans le bureau qu’un : « vous êtes pèlerin, la nuit vous est offerte !… » fuse avec un enthousiasme rare, «  …nous allons vous trouver une chambre…vous pourrez dîner ce soir avec un groupe de musiciens, joueurs de vielle à roue, hongrois, allemands, italiens, espagnols, anglais, français, qui sont en stage sous la houlette de Patrick Bouffard, notoriété française de ladite vielle à roue… Quand il y en a pour 22, il y en a pour 23… Où serez-vous demain ? …Echassières !…mais vous ne trouverez rien là-bas ! Attendez, nous allons passer quelques coups de téléphone. Elle s’activent, se concertent, téléphonent, tentent d’autres numéros,…en vain…non, il n’y a vraiment rien !…Vraiment vous aurez du mal ; mais non attendez, on ne peut pas vous laisser partir comme çà !…Marie-Agnès a un éclair : Gilles, oui Gilles, il va se débrouiller, il trouve des solutions à tout Gilles !…Téléphone à Gilles. Gilles ne répond pas. Messagerie de Gilles : Gilles, j’ai un pèlerin qui arrive demain soir à Echassières, son nom : Alain, son portable 06 08 897 893 ! Tu le rappelles demain, je compte sur toi ! Merci Gilles…A bientôt. »

 

Soirée d’échanges, de mélange de langues ; en face de moi, au repas, une hongroise, éminente bavarde à l’accent rocailleux, à ma droite, un anglais « so british », distingué et réservé, plus loin Patrick Bouffard, ravi de diriger une brochette de musiciens de si haut niveau.

Un groupe de trois hongrois anime la soirée : rythmes endiablés sous la houlette d’une « jeune petite bonne femme » bouillonnante d’énergie (le terme paraît bien faible) : voix extirpée des tripes, qui donne à voir des terres lointaines, sombres, brillantes et fumantes sous le soc de l’araire, et encore à humer des parfums de glèbe et d’humus sous un ciel bas d’automne.

Une invitation à la danse,… jusqu’à la transe…

 

Jeudi 21 avril : de GANNAT à ECHASSIERES

13 h 45 : « Vous êtes bien Alain DUBUIS ?…je suis Gilles, ami de Marie-Agnès qui m’a laissé hier soir un message….je vous propose de nous retrouver à 19 heures dans le jardin public au-dessus de la mairie ». Quelques phrases, bien carrées, à l’image de l’homme que je découvrirai le soir. Phrases qui battront dans ma tête au rythme de mes pas, tout l’après-midi.

 

« In Deo speravi » … exaucé, pourquoi s’inquiéter du soir, de la nuit ?

 

En attendant l’heure du rendez-vous, l’église est grande ouverte au soleil couchant. Elle est belle !

« Je ne sais pas qui je suis, je ne sais pas d’où je viens, je ne sais pas où je vais, je m’étonne que mon cœur soit en joie ! ». Les mots d’Angelus Silesius sont là et s’accordent à la perfection à mon état d’âme de l’instant. Je suis submergé par une vraie jubilation intérieure.  Oui, mon cœur est en joie de cette rencontre toute proche de personnes, qui, sans rien savoir de moi, se proposent de m’accueillir. Avant même qu’elle me soit offerte, j’ai sur la langue la saveur de l’hospitalité.

 

Parfaite précision du rendez-vous : Gilles et Madame le maire d’Echassières et Nicole, l’épouse de Gilles, elle-même conseillère municipale, sont là pour m’ouvrir la porte d’un logement communal vacant.

Nicole et Gilles m’invitent à dîner ce soir avec eux. Pendant que Nicole prépare le repas, je repars avec Gilles à la recherche d’un matelas gonflable, un grand, puis d’un gonfleur que Gilles sait trouver chez André à la ferme voisine. André est absent, mais tout est ouvert. Gilles est comme chez lui, il met en  route le compresseur, bricole un bouchon…

Ah ! Cette campagne qui me rappelle celle côtoyée largement dans le Haut Beaujolais, où confiance, ouverture, solidarité, trouvent la parfaite expression de leur sens.

Nous arrimons le matelas gonflé sur le toit de la 207 à l’aide de cordes « cueillies » dans l’atelier d’André. « Je lui rendrai demain »

Repas royal en bonne compagnie. Nicole est heureuse de parler des problèmes de la Commune, et qui sont les mêmes que ceux des petites communes rurales où j’ai œuvré.

Gilles me reconduit à mon gîte vers 22 h 30.

Nous avons oublié de parler de couverture. Si le soleil est bien présent la journée, en avril la nuit est froide dans un local inhabité. Je m’endors tout habillé, mais le froid me réveille, et je suis heureux de penser à utiliser vers une heure du matin ma couverture de survie. Redécouverte de l’étonnante efficacité de cette couverture !

 

Samedi 23 avril – de  NERIS à La Couture près d’EVAUX LES BAINS

Le Chemin. J’y vois le  reflet de la vie, sa trace et son profil.  

Ma vie : comment j’avance avec une carte, avec des repères ?

Comment j’avance sans carte, sans balises, à vue ? A vue ou à l’aveuglette ?

Comment je réagis face à une erreur, un écart ou une perte de chemin, au temps « perdu », au retard pris au regard de mes prévisions ?

D’un côté la « niaque » qui me harponne, de l’autre un zeste de philosophie qui me retient, m’invite à  freiner mon pas !…

Le chemin est un chemin de patience et de persévérance.

 

« Sais-tu ce qu’il y a au bout de la patience ???… Il n’y a pas de bout à la patience ! Au bout de la patience, il y a …la PATIENCE ! » J.Y. LELOUP.

 

Dimanche 24 avril – PAQUES – entre La Couture et  SOUMANS

17 heures : les villages et les  hameaux sont rares.  Les espoirs d’hébergement disparaissent les  uns après les autres.  Approcher en fin de journée, quelques courtes heures, l’incertitude d’un toit pour le soir, même avec quelques vivres, une couverture de survie, est une expérience toute simple qu’il me semble bon de vivre, même en France, par beau temps et avec une carte bancaire dans sa poche…

rendez-vous la semaine prochaine pour lire la suite !

Alain Dubuis
lire le 1er épisode