Le feuilleton d’Alain 5ème et dernier épisode : de Blaison-Gohier à Villefranche

 

Mercredi 18 mai – entre  AVAILLES SUR SEICHE et VITRE

Pèlerinage, chemin de patience et persévérance, de ferveur. « Psallite deo, psalmite deo omnes gentes, alléluia », en boucle dans ma tête ou sur mes lèvres, en rythme avec mes pas. La monotonie s’accorde à la méditation, à l’action de grâce. L’action de grâce à l’émerveillement. L’émerveillement à l’infini de l’espace, et à l’éternité.

A quel moment en chemin, suis-je devenu…pèlerin ?

 

Vendredi 20 mai – de  FOUGERES à SAINT JAMES

Mystère joyeux. « For unto us a child is born, a sun is given !… »

Wonderful !

NOAM est né.

Bienvenue sur cette terre, petit bout d’homme dont le prénom signifie « les grâces ».

Grâce soit rendue à l’archange du Mont qui t’a donné la patience d’attendre le terme de mon périple !

 

 

Grâce aussi au saint de l’oratoire à la croisée des chemins, où je reçois la nouvelle de ta naissance !

Saint Gordon, patron des sages-femmes qui coupent le cordon.

Pardon.  Saint Gorgon !…

 

 

 

 

 

Samedi 21 mai –  de SAINT JAMES au  MONT SAINT MICHEL et retour à LA RIVE

La Croix Avranchin – Vergoncey : leurs belles églises sont fermées.

Maintenant qu’elles sont toutes belles, magnifiquement restaurées, les églises sont fermées.

On gère les temps de prière de ceux qui savent prier.

A ceux qui ne savent pas prier, qui sont là en touristes dans les églises ouvertes, on  distille une musique  monastique, religieuse ou classique pour créer une ambiance douce et légère, bien en boucle, comme dans les supermarchés, afin qu’un trop grand silence ne les assourdisse pas, ne les laisse pas désespérément seuls, démunis face à eux-mêmes.

 

Je ne sais pas si je sais prier.

Me revient la mémoire de l’histoire d’une paysanne du fin fond de la Russie que le pope invitait à prier, et qui ne le sachant faire, se mit à réciter en boucle l’alphabet, seul vestige d’une lointaine et précaire scolarité. Le pope s’en était ému, et lui faisait remarquer que ce n’était pas là une prière, la brave femme lui répondit que Dieu saurait faire bon usage de toutes ces lettres, les assembler pour tricoter des mots et tisser la plus belle des prières.

 

Que fera Dieu des 1.400.000 pas qui me séparent maintenant de Saint André d’Apchon ?

1.400.000 grains de chapelets ?

Combien de chapelets ?

Combien de rosaires, de mystères joyeux, douloureux, glorieux, et des tout derniers mystères lumineux inventés par Jean Paul II ?

Le Mont Saint Michel maintenant tout proche et que l’on commence à  apercevoir ne résonne-t-il pas à lui tout seul comme un « Gloire au Père, à son Fils et à l’Esprit » ?

Quels fils invisibles le tiennent tendu entre la terre et l’éternité des siècles des siècles ?

Arriver au terme ? La fin d’un désir ?

 

Dimanche 22 mai – LA RIVE – LE MONT SAINT MICHEL – PONTORSON

Montée vers l’église.

Long temps de silence avant le début de l’office.

Une demi-heure pour un pèlerinage intérieur.

Une demi-heure pour être dans le même silence, le même infini que les frères et sœurs de la Fraternité de Jérusalem, à genoux, en méditation dans le chœur.

Ici commence la vraie communion

Cloche, procession. Chants, encens montent en volutes abondantes vers la coupole, claires nuées en gloire sous les rayons du soleil. Orgue qui me plaque au sol et me glace le dos de sa toute puissance.

Alternance des lectures entre les frères et sœurs.

Versets et répons dans une extrême lenteur, ponctués par une courte apnée, parfaitement posée, mesurée. Inspir… apnée…expir…apnée…

Mantras ou litanies…même méditation.

Le lieu est fort qui m’accroche à la terre, et m’étire vers le ciel.

 

Geste de paix donné et reçu des deux mains d’une jeune sœur rayonnante, aux yeux clairs et vifs comme l’eau d’un torrent de montagne.

La lenteur de tous les gestes et prières, la ferveur de l’assemblée, associées aux images de la baie, donnent à entrevoir la dimension de l’éternité.

 

Nous ne sommes que deux pèlerins avec nos sacs dans l’assemblée réunie ici pour la messe, et c’est nous que le père Charles Marie choisit dans la foule des fidèles, qu’il invite à nous approcher de l’autel.

Il nous demande nos prénoms, nous donne sa bénédiction, en créant pour nous une prière, la prière qui lui vient du cœur et qui s’accorde à la mienne, à la nôtre.

Moment d’intense émotion au terme du pèlerinage.

Ultime point d’orgue sur la dernière note de la partition du chemin !…

 

Charles Marie me propose de rencontrer sœur Béatrice avec qui j’ai correspondu par courriel, et qui m’avait tant touché avec sa dernière phrase : « fraternellement en Christ ».

Je la remercie et nous parlons du puissant impact des mots.

 

Lundi 23 mai – PONTORSON – VILLEFRANCHE

5 heures de TER et de TGV pour détricoter 1000 kms à pieds.

La France est belle, très belle qui défile maintenant à 200 kilomètres à l’heure.

Nous sommes immensément privilégiés.

 

Alain DUBUIS – le 23 novembre 2011.

Avec une infinie gratitude pour toutes les compagnes et compagnons de route et de cœur.