Jeûne

Dans la liste des péchés « capitaux », il y a la gourmandise. L’occasion, comme le jeûne, de contre-sens durables.

D’abord un péché « capital » n’est pas plus grave en soi que les autres ; le mot vient du latin « caput » : la tête. On retrouve la racine dans capitaine, celui qui est à la tête, dans le mot italien « capito » : compris, bien en tête. Dans donner le cap, un projet, une idée à suivre. Un péché capital est donc celui qui vient en tête, sa gravité tenant seulement à ce qu’il en entraîne d’autres.

 

La gourmandise ; en soi est-ce condamnable que de profiter de ce que la vie nous offre, à table ou dans les pâtisseries ? Vous avez un faible pour les religieuses ? Votre éducation chrétienne sans doute ; mais surtout l’alliance de la pâte à chou et de la crème. Est-ce condamnable ? Non, si vous n’en mangez que modérément ; mais si c’est deux ou trois fois par jour ? Ce qui devient péché, c’est d’abord l’excès qui emplit la vie, qui coupe des autres et donc de Dieu ; là est le péché. Sobriété donc ; qui ne signifie pas austérité ; le Christ s’est laissé traiter de glouton ! C’est oublier qu’au désert, avant de commencer sa prédication, il jeûnait, dit-on pendant quarante jours. Sa conclusion : « L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui vient de la bouche de Dieu ». Voilà pour toi, Satan, passe derrière moi !

 

Le jeûne donc. Certains le conçoivent comme une nécessité hygiénico-diététique, surtout au sortir de l’hiver quand « on s’est fait du gras ». Mais au sens biblique c’est tout autre chose, puisque cela a trait à notre relation à Dieu.

 

Quand on pense jeûne, souvent  on pense au Carème, qu’on imagine proche de la punition, et crée les « faces de Carème » qui vont avec ; Pape François a rebaptisé ça « visages de piment au vinaigre ». Mais quand on jeûne, d’abord ça ne doit pas se voir ; ensuite, le jeûne n’est pas directement lié à la privation de nourriture, même si le dolorisme du XIX° siècle s’en faisait gloire. La nourriture est nécessaire au corps : « Il faut manger pour vivre et non point vivre pour manger » fait dire Molière à Valère, dans « l’Avare ». Alors, le jeûne ? Écoutons Esaïe (58,4-5) :

«  Quand vous jeûnez, vous allez à vos affaires… N’est-ce pas plutôt ceci le jeûne que je préfère : défaire les chaînes injustes, délier les liens du joug, renvoyer libres les opprimés et rompre tous les jougs ».

 

Le Christ nous le rappelle, et pas seulement pour le jeûne : « Quand vous donnez, ne le claironnez pas… Quand vous priez enfermez vous dans la chambre la plus retirée…ne rabâchez pas… Quand vous jeûnez ne le montrez pas aux hommes mais seulement au Père qui est dans le secret ». (Évangile de saint Matthieu 6,1-18)

 

Jeûner, ce n’est pas « continuer ses affaires », ce n’est pas non plus se priver de la nourriture nécessaire à la bonne santé de notre corps, c’est se tourner vers Dieu, lui faire de la place dans notre vie quotidienne pour, comme le demandait le Pape Benoît, « remettre Dieu au centre de nos vies ». Lui seul sait nos vies ; le jeûne n’est pas un rite pour se gagner ses bonnes grâces. L’Ancien Testament ni le Nouveau n’accordent beaucoup d’importance au jeûne qui reste une démarche intérieure ; intérieure afin de «  ne pas montrer aux autres que tu jeûnes ».

 

Finalement, jeûner pour jeûner ne sert à rien. Le jeûne consiste plutôt à nous débarrasser de ce qui nous empêche de faire de la place à Dieu, à nous rendre  pauvres, humbles : « j’humiliais mon âme par le jeûne » dit le Psaume 35 ; humbles par la prise de conscience de la distance d’avec le « Tout Autre », pauvres c’est-à-dire « pas remplis », disponibles, porte ouverte, prêts à dire oui .

 

À la Paroisse Saint Séverin à Paris, on chante : « Comme un ami à notre porte, Jésus se tient prêt à entrer ; c’est son royaume qu’il apporte, ne risquons pas de le manquer ».

 

 Alain de Guido
Mars 2016