Saint tous saints

     Je ne sais pas si on peut encore parler de saints dans notre pays, de peur de voir hurler les sectes laïques : et si on débaptisait les rues, les stations de métro à Paris, et les villes ? Et tant qu’on y est, les vins : Saint Émilion ?  Interdit ! Saint Amour ? Interdit ! L’aéroport Saint Exupéry ? Interdit ! l’auteur du Petit Prince n’avait qu’à s’appeler autrement, c’est de la provoc !

 

Alors tant pis, je me lance, espérant que vous lirez religieusement ; ah non pardon, ça aussi c’est interdit !

 

Le monde a toujours eu besoin de saints. Pas seulement les religions quelles qu’elles soient et quel que soit le nom qu’elles leur donnent : les Chrétiens ont leurs saints, les Juifs aussi qui certes sanctifient des lieux, mais liés à des personnes marquantes ; les musulmans ont leurs prophètes ou leurs walis. Brassens gentiment anar, parlait d’un « petit saint besogneux » à propos d’un prêtre de campagne.

 

Les peuples, les nations ont les leurs, même en République. À Paris, au fronton du Panthéon (du grec « à tous les dieux) ex-église et situé sur la montagne sainte Geneviève (on n’y échappe pas !) est écrit : « Aux grands Hommes la patrie reconnaissante ». On y trouve 79 gloires du pays : écrivains, politiques, scientifiques et récemment Résistants. Les militaires se trouvent aux Invalides.

 

Tout le monde a ses saints, donc. Mais que sont-ils ?

 

Dans tous les cas, religieux ou laïques ce sont des exemples, des porteurs de sagesse ou de vertus civiques, de connaissances utiles à tous. Dans les religions, ils ont souvent, par déviation, remplacé les dieux païens ; on les prie, on les vénère quand ils ne sont au mieux que des intercesseurs, c’est à dire des figures, qui nous font réfléchir à notre vie, qui nous font comprendre ce qu’est la divinité ; mais chacun n’en représente qu’une infime partie et chacun ne mérite pas qu’on l’idolâtre, ou comme l’écrit le pasteur Marion Muller Collard, qu’on passe avec lui un contrat : je te mets un cierge, tu me fais réussir à mon examen !

 

Dieu est « l’au-delà de tout ». il ne saurait être perçu à travers un être humain, fut-il rempli de vertus. «Il vaut mieux s’adresser au Bon Dieu qu’à ses saints» dit la sagesse populaire. Tous les saints honorés par les Chrétiens – hors les martyrs – ont d’ailleurs connu des périodes de leur vie profondément humaine ; Foucauld menait une vie de patachon, Saint Augustin n’était pas en reste et beaucoup d’autres à l’avenant. Quant à saint Paul, persécuteur de Chrétiens, il proclamait lui-même son indignité ! Ce qui n’empêche pas qu’il soit considéré comme le vrai fondateur du christianisme.

 

Saint ne signifie donc pas «confit» en dévotion, en piété ; il y a peut-être plus de saints venus sur le tard que de convaincus dès l’origine, le Christ nous l’a appris : Il y a plus de place pour un pêcheur repenti que pour 99 justes » (Évangiles de saint Luc 15,7 et de saint Matthieu 3,2). Même venus sur le tard comme le criminel sur la croix ; Jésus lui dit : «Aujourd’hui avec moi tu seras en paradis» (Évangile de saint Luc 23,43). Même faibles, faillibles, renégats, comme Pierre disant de Jésus : «Je ne connais pas cet homme». Les quatre évangélistes relatent cet épisode ;  cela qui se produit rarement et en prouve l’importance. (Matthieu 26,72-74 – Luc 18,27 – Marc 22,60 – Jean 14,71)

 

Nous pouvons en déduire que chacun de nous, avec son poids de petites crassouilles, de doutes, d’abandons… peut trouver ou retrouver la proximité de Dieu. Être saint, ce n’est pas être parfait ; c’est accepter d’être parfait (comme l’artiste parfait son œuvre) par le Christ. Pour certains, c’est un événement qui survient comme une foudre ; pour d’autres une lente maturation, pour d’autres une leçon tirée d’une épreuve. Nous sommes tous appelés à la sainteté, c’est le sens de la fête de la Toussaint (souvent confondue avec la fête des morts). Un saint c’est un aspect de la divinité qui est en nous et que nous sommes appelés à révéler. Le Père Varillon répétait qu’un être humain c’est «du divinisable» (Joie de Croire, Joie de Vivre) c’est à dire, puisque personne d’entre nous ne deviendra Dieu, du sanctifiable.

 

Pape François disait récemment que « la sainteté c’est la meilleure réponse humaine à l’amour de Dieu. »

 

Alain de Guido, novembre 2016