Le feuilleton d’Alain 4ème épisode : de Perrusson à Blaison – Gohier

 

Mercredi 4 mai – PERRUSSON – TAUXIGNY

Départ à 8 h du château de la Cloutière.

Le chauffeur de bus qui sort de son dépôt pour prendre son service, stoppe près de moi, ouvre sa vitre pour me saluer et proposer de me conduire… là où je vais. Encore une fois sac à dos et chaussures constituent le  passeport à validité permanente pour l’ouverture, le dialogue, la gentillesse !…

Un simple geste et trois mots échangés qui cheminent avec moi, cèdent la place ici à l’envol d’un canard, là au frémissement d’une herbe, là-bas à un souffle de vent, un parfum de fleurs, plus loin encore à des heures qui s’égrènent au clocher du village, à la caresse d’une branche sur un sentier étroit. Puis tout se fond dans le silence, pour émerger plus loin de la houle et des vagues d’un océan d’épis blonds.

Méditer ? Et si c’était aussi simple que cela ?

Un grand bain de nature ? Inspir, expir accordés à ceux la terre ?

Prier ? Des pas comme des grains de chapelet ?

Un immense rosaire ?

Des milliers de pas vers…

Pérégriner ? Kyrielle de pas égrenés en prière.

Mystères joyeux ? Les aubes qui montent, matin après matin !…

Mystères douloureux ? La peine des êtres chers confiée à l’archange du Mont !…

Mystères glorieux ? La merveille de l’instant, sa profusion. L’abondance et la générosité de la nature offertes sans retenue !… Pour moi seul ? Moi seul dans cette seconde d’éternité, corps et coeur remplis, abondés, débordés, submergés, lavés, renouvelés de neuf…Vie généreuse. Puissant torrent limpide né de source inconnue, qui me donne à renaître… à ce qui est !…

Là est la gloire : entrer dans la majesté de la Vie !…

Etre dans l’enthousiasme : étymologiquement « marcher avec les dieux »

 

« Je ne sais pas qui je suis, je ne sais pas d’où je viens, je ne sais pas où je vais, je m’étonne que mon cœur soit en joie » (Angelus Silesius)

 

Vendredi 6 mai –  de VEIGNE à TOURS

Tours : bonheur tout simple d’un rendez-vous ponctuel à la gare de Tours avec Annie. Quelques heures de train pour elle. Trois semaines de marche pour moi. 

Au terme d’une première section en solitaire, la tentation d’une sorte de bilan (horrible terme qui fait penser aux évaluations surabondantes du monde des statistiques !…) :

 – je ressens l’extrême liberté du départ et de la marche en solitaire

– je me sens très bien dans cette  solitude « royalement habitée »

– je suis très bien dans cet état « à la marge », à faire et à être dans l’atypique, l’original, le rare (rare comme : avoir été chez les frères les plus rétros de leur génération, avoir un groupe sanguin rare, ne rien avoir compris du football, exercer en indépendant une toute petite profession, faire partie de minorités d’hommes au milieu de stages à participation essentiellement féminine, s’inventer un chemin qui ne soit pas celui de tout le monde, etc.)

– je mesure le privilège d’être là, à l’instant, avec le luxe du temps offert par la condition de retraité, en parfaite santé, une très grande forme pour marcher sans fatigue chaque jour, comme au bout de trois semaines, en disposant d’une belle réserve d’énergie et de puissance pour marcher encore à très vive allure après une étape de 30 kms

– je fais le constat d’un besoin de nourriture « terrestre » bien inférieur, pour une activité physique bien plus importante

– je me sens beau : mon corps est beau, et j’ose me l’affirmer et aujourd’hui l’écrire.

– je sens ma tête bien  en ordre.

– je me sens rempli par la nature, généreuse, surabondante, qui m’entoure, que je traverse et qui me traverse

– je me sens rempli de confiance, de jubilation, et de gratitude.

 

Mercredi 11 mai  – TREVES –BLAISON GOHIER  

 

Grâce soit rendue à ceux qui ont eu le génie de la construction de cette église (Cunault), à ceux qui ont ici prié, chanté, à ceux qui nous appris à chanter, aidés à oser s’offrir la liberté de chanter seul dans une église, à ceux qui ont chanté avec nous.

Moment où je me sens en lien avec quelque chose qui me dépasse, avec les hommes et les femmes derrière moi, et tous ceux à venir, devant moi.

Infiniment petit, avec sur la langue la saveur de l’infiniment grand.

Jubilation portée à son paroxysme. Euphorisante.

 

 rendez-vous la semaine prochaine pour lire la suite !

 

Alain Dubuis