Religion

L’être humain est par essence religieux ; les religions archaïques en témoignent, mais pas seulement : on considère que la différence entre les grands primates et l’homme est que l’homme enterre ses morts ; c’est la preuve qu’il considère, depuis qu’il pratique ce rite, qu’autre chose existe après.

De tous temps le sacré, parfois lié au surnaturel, a tenu une place primordiale dans la vie de l’humanité ; mais bien sûr avec des périodes plus intenses que d’autres ; le philosophe Michel Serres disait récemment qu’en 1968, parler de religion à des étudiants les faisait rire, parler de politique les passionnait ; mais que de nos jours c’est l’inverse. C’est peut-être ce que Malraux pressentait quand il disait que le XXI° siècle « serait religieux ou ne serait pas ».

Les linguistes sont partagés sur le sens du mot religion qui, venant du latin, signifie pour certains : relier, et pour d’autres : relire.

Alors, qu’est-ce qu’une religion pour nous chrétiens ? relire ? relier ? ou encore autre chose ?

 

Relier : Cette idée ne vient pas à l’esprit en premier au regard de toutes les guerres que l’on a mené – et que l’on mène encore – au nom de la religion, même si elle n’est le plus souvent qu’un masque à des fins politiques – obtenir des domaines, donc des revenus –  ou simplement mafieuses, comme on le voit dans le Sahel. La France par exemple, a vécu entre catholiques et protestants, des décennies de batailles, de massacres, de supplices, d’exils. Dans les actuelles négociations en Europe, un ministre allemand porte un nom bien français, de même qu’un célèbre chef d’orchestre, tous deux issus de l’émigration protestante au moment de la révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV.

Dans toute institution la guerre sert à « relier » les membres entre eux en leur suscitant un ennemi, vrai ou supposé ou inventé. C’est poussée à l’extrême la logique totalitaire des nazis, des fascistes et des communistes. Mais c’est aussi la logique délirante des sectes, y compris celles qui vivent au sein ou à la marge de l’Église ; et au sein de chaque communauté de croyants, ces mouvements fondamentalisto-intégristes qui poussent à l’affrontement avec les autres parce qu’ils « ne croient pas droit ».

Il y a aussi les différences entre chrétiens : catholiques, protestants, orthodoxes ; nous avons des rites et des dogmes propres à chacun, parfois une histoire conflictuelle ; mais ce qui nous relie n’est-il- pas plus important que ce qui nous divise ? Un seul Dieu, un seul sauveur le Christ, un seul baptême, une même référence à l’Écriture, (saint Paul le disait dans sa lettre aux Ephésiens) et tant d’initiatives œcuméniques, soit venant du Pape soit localement, pour célébrer, prier, montrer l’unité réelle. En annexe au livre d’entretiens du pape Benoit avec un journaliste, on peut trouver (p.249 à 270) une idée de son emploi du temps ; l’oecuménisme y tient une place prépondérante, que sans cette lecture nous ne pouvons pas imaginer. (Lumière du Monde Bayard  2010)

 

Relire : Peut-être s’agit-il en effet de relecture puisqu’une religion – ensemble de croyances et de rites – s’appuie sur une histoire, sur un passé, sur des traditions qui, quand on les fige, font parfois obstacle à l’évolution, mais parfois aussi dans des intuitions extraordinaires, permettent que ces « relectures » donnent renaissance, jeunesse, air nouveau… c’est ce qu’a apporté le Concile Vatican II.

Mais relire, c’est aussi, comme nous y invitent les réformés, relire soi-même les Écritures. Le père Ghislain Lafon, de La Pierre Qui Vire, disait récemment : « il faut lire l’Écriture ; pas seulement les commentaires, même profonds et intelligents ».

 

Relire ou relier ? ou autre chose encore ?

Un prêtre du Prado proposait récemment d’ajouter le sens de « reliure », puisqu’en effet la Bible n’est pas un livre, mais une bibliothèque reliant plusieurs Livres (environ 75 selon les traductions) ; et qu’à ce « Livre » fondamental s’ajoutent tous les écrits qui constituent la Tradition (= transmission) que l’Église reconnaît comme vrais, éclairant ou rendant vivantes les Écritures.

Mais, et c’est peut-être fondamental, Frère John de Taizé rappelle (Quelle est la Spécificité de la Foi Chrétienne Presses de Taizé 2007) que le christianisme n’est pas, contrairement à ce qu’on entend dire couramment, une « religion du Livre », parce qu’avant tout, les Chrétiens se réfèrent au Christ, c’est-à-dire à une personne vivante, plutôt qu’à des lois, rites et dogmes fixés pour toujours par écrit. Jésus le dit lui-même : « si votre justice ne surpasse pas celle des Scribes et des Pharisiens, non, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux »

(Évangile de saint Matthieu 5,20). La justice, c’est être ajusté à Dieu, alors que les Scribes et les Pharisiens étaient les garants pointilleux des rites et de la Loi. Il est rare que Jésus dise non aussi fermement , et ses paroles sont issues de l’Ancien Testament : « ce peuple ne s’approche de moi qu’en paroles, ses lèvres seules me rendent gloire, mais son cœur est loin de moi » (Esaïe 29,13).

 

Les paroles du Christ fondent les rites chrétiens non sur des lois, des idées ou des divinités abstraites, mais sur la relation à une personne : « faîtes ceci en mémoire de moi » ( Évangiles de saint Matthieu 26,26-28, de saint Luc 22,14-20, de saint Jean,15,8-17 ) et « Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Évangile de saint Matthieu18,20). Relation à une personne-Dieu faîte de chair et de sang, comme nous le sommes, qui « sera avec nous toujours », derniers mots de l’Évangile de saint Matthieu (28,20) ; hommme-Dieu qui est un miroir pour nous : Pilate, en présentant Jésus à la foule, dit : « voici l’Homme » (Évangile de saint Jean 19,5). Il ne nous montre pas un homme en particulier, mais la condition humaine. En le voyant martyrisé, humilié, nous avons certes la tentation, comme Pierre, de ne pas le reconnaître : « je ne connais pas cet homme » (Évangile de saint Matthieu 26-74). Mais quand le Christ dit « ceci est mon corps », nous pouvons dire : « mon corps est ceci » ; nous sommes le corps du Christ, qui par sa seule existence nous incite à faire surgir de nous-mêmes la part de divin qui y existe. Nous sommes, comme l’ont dit et redit bien des pères de l’Église et notamment saint Athanase ou saint Irénée, « appelés à la divinité » ; c’est ce lien impossible à rompre, ce partage de vie avec Dieu exprimé dans l’Eucharistie, qui est le christianisme.

 

Trois citations permettent de comprendre sans ambiguïté :

Dietrich Bonhoeffer, pasteur mort dans les camps nazis en 1944 : « dans l’Église, il ne s’agit pas de religion, mais de la figure du Christ qui doit prendre forme dans une multitude d’hommes » ( Ethic , édition posthume Labor et Fideles 1965).

Frère Roger Schütz, fondateur de la communauté œcuménique de Taizé, assassiné en 2005 : « Saisissons-nous assez que, voici deux mille ans, le Christ est venu sur la terre, non pas pour créer une nouvelle religion, mais pour offrir une communion en Dieu à tout être humain ? » ( Dieu ne peut qu’aimer, Presses de Taizé 2001).

Pape Benoit XVI : « Dans le chapitre IV de l’Évangile de Jean, (4,23 : « Crois-moi femme, l’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père » ) Jésus annonce une adoration du Père pour laquelle on priera sans temples extérieurs, en communion avec le Saint Esprit et la vérité de l’Évangile, en communion avec le Christ ». (Lumière du Monde Bayard 2010)

 

La Bible utilise souvent un langage poétique ou symbolique qui peut nécessiter une explication et parfois un « décodage ».  Chaque mois, dans cette rubrique, un mot sera présenté dans un langage courant, plus accessible à ceux qui ne sont pas familiers de l’Église.

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