De Paris à Vézelay par Alain Dubuis

Bribes du chemin de PARIS à VEZELAY du 16 au 25 février 2014

Oui nous voilà de retour, enthousiasmés par le dernier périple tendu entre Notre Dame de Paris et Marie Madeleine ! Les humeurs du ciel n’ont rien grignoté de notre détermination !

Chaque soir nous avons été accueillis, soignés, choyés, chouchoutés, bordés, pour que chaque matin soit une nouvelle fête : rues de banlieue jonchées d’immondices, coeurs de ville bigarrés aux parfums d’épices exotiques, humbles capucins oeuvrant en toute discrétion entre le proche bidonville et la mairie truffée de savantes paperasseries ; forêts embourbées de silence, mares glauques maquillées du reflet d’arbres décharnés rêvant de printemps, chasseur solitaire de chants d’oiseaux, allées royales démesurées déroulées sur d’interminables lieues par d’insatiables monarques en mal des yeux de leur belle, envol d’un couple de canards sur les eaux bouillonnantes de l’Yonne fougueuse, puissante des derniers déluges…

Nous avons vu tous ces ouvrages humains étonnants d’audace et de gigantisme : l’aqueduc de la Vanne pour assouvir les soifs parisiennes, l’antique voie romaine d’Agrippa de Lyon à Boulogne sur Mer tracée et pavée en soixante dix ans, vu tous ces châteaux, ces églises qui n’en finissent pas de nous laisser émerveillés par leur géométrie et leurs dentelles de pierre, ces voies de chemin de fer délaissées après d’éphémères carrières, ces canaux paisibles aux berges grignotées par l’eau et le temps et qui réclament secours.

Deviné derrière les rideaux de pluie et les vagues de vent, la marque invisible de quelques rares agriculteurs qui s’appliquent, ordinateurs en main à cultiver céréales et produire toutes autres denrées assurant notre nourriture quotidienne.

Goûté le café de luxe d’un restaurant sélect du village d’artistes de Barbizon, servi avec grâce sourire et douceurs à des randonneurs aux pantalons et chaussures crottés, dans les imposants fauteuils de cuir d’un salon plus habitués aux hommes d’affaires traitant au champagne et au whisky de juteux contrats dans la douce chaleur d’un feu de bois. 

Ri de la bonne gouaille d’un cafetier, ravi de voir débarquer deux pèlerins dégoulinants de pluie, de leur débarrasser d’urgence une table encombrée, et de leur conter son installation dans ce trou perdu où les habitants dédaignent son établissement au profit des centres commerciaux situés à 20 ou 30 km… Tellement heureux, – lui qui dit avoir largement randonné en des temps plus lumineux -, qu’au moment de payer il met un point d’honneur à offrir le café à ceux qu’il considère comme des confrères de randonnée.

Choisi tout au long du chemin, en forêt comme en plein champ, tantôt l’ornière de droite, tantôt celle de gauche, et tenté de brefs exercices d’équilibre dans l’inconfort de la voie centrale à gorge étroite  creusée par quelques vététistes équilibristes… incitant à tracer d’incertaines parallèles politiques !

Je me suis interrogé, j’ai dérivé,  élucubré méditativement :

Combien de siècles encore avant que des touristes de toutes nations fassent la queue pour entrer et défiler dans les temples, les mosquées, tressant, comme aujourd’hui à Notre Dame de Paris, à une foule de fidèles en prière, un chapelet humain en perpétuelle déambulation dans les allées latérales ? Pour la gloire et le salut des balances commerciales…

Combien de milliers de kilos d’euros pour rénover des églises vouées à la fermeture quotidienne à perpétuité, afin de ne pas exposer au vandalisme leurs richesses intérieures ?

Combien de décennies avant que petites voies et grandes avenues de l’internet s’enlisent, se figent dans le paysage virtuel comme les anciens chemins de fer de nos campagnes délaissés sous des buissons de printemps ?

Combien de temps encore à circuler sur des chemins insécurisés, sans certificat médical, sans péage et sans limitation de vitesse ?

Mais voici Vézelay.  Enfin et déjà là. Redécouverte sous un autre angle, un autre jour, avec d’autres yeux, sous d’autres cieux.
A mes yeux du jour la colline s’est redressée. Même si le ciel est encore  gris, elle a perdu l’austérité dont je l’avais revêtue, il y a deux ans. Je la trouve plus majestueuse, plus fière, plus charmeuse, féminine, voire séductrice.
Séductrice ? Conduire vers soi. Je me laisse séduire.

J’y suis, nous y sommes.

La chapelle romane de la Cordelle tolère quelques bribes de chants grégoriens enroués.

chapelle

Plus haut, le soleil nous attend. Parfaitement aligné dans l’axe du chemin qui grimpe vers la basilique. Signe céleste ?

La basilique… Luxe du partage du lieu saint avec une poignée de visiteurs délicieusement discrets. Recueillis ?

C’est Marie Madeleine qui me cueille. Charme éternel et grâce incandescente de la femme amoureuse. Figure brillante, brûlante de l’amante. Je lui confie la lumière d’une bougie, et le soin de dédier sa flamme à mes intentions chères…Elle, au moins, ne saura en oublier…

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A l’heure du coucher du soleil, je me laisse happer par les psalmodies des frères et sœurs de la Fraternité de Jérusalem. A nouveau envoûté par la magie connue trois ans plus tôt au mont Saint Michel, séduit par une semblable célébration brodée aux fils de lenteur et ferveur. Révérencieuse. Lumineuse. Aux parfums de confiance, de présence clémente, de tendre et douce miséricorde et de paix pour ceux qui s’aventurent avant nous sur le chemin des étoiles.

« Misericordias domini, in eternum cantabo »

Il se peut qu’au delà de l’horizon qui s’éloigne à l’infini, s’offre un nouveau chemin. 

Spirituel ?

Peut-être ! Avec certitude sans rendez-vous. Inéluctable.

Hautement jubilatoire !!!…

Alain DUBUIS – 27 février 2014