NOTRE PÈRE

Jusqu’à Noël, nous allons réfléchir à ce que dit profondément le Notre Père, aidés par ce qu’ont écrit François d’Assise, les papes François et Benoît XVI, le Cardinal Barbarin, le Cardinal Daniélou, les pères de Bruchard, Bernard Bro dominicain, François Varillon jésuite, Jean-Pierre Batut Évêque de Blois, Frère John de Taizé, Jacques Duquesne journaliste. C’est leur pensée et seulement leur pensée que l’on trouvera dans ces textes ; je n’ai fait que rassembler, mettre en rapport pour faciliter la lecture.

La véritable question posée au croyant est : « Comment alimenter la semence d’Évangile en moi, la vie de l’Esprit, pour qu’elle grandisse et porte des fruits ? » C’est la question des sources de la vie intérieure ; parmi ces sources, nous trouvons la prière. Celui qui prie n’a pas son centre en lui-même. Ces moments où nous nous arrêtons pour nous occuper de « l’unique essentiel » (saint Luc 10,42) sont indispensables.

Dans l’Évangile, le Christ nous montre Dieu : « Qui me voit, voit le Père » (saint Jean 12,45). On ne doit jamais perdre cela de vue. Alors qu’il était en prière, un de ses disciples lui demande : « Seigneur, apprends-nous à prier. » (saint Luc 11,1)   Les disciples étaient Juifs et connaissaient toutes sortes de prière : matin, soir, repas… Ici, ils demandent autre chose ; ils veulent connaître la prière de Jésus, entrer dans sa relation avec Dieu. On devine dans cette question, non le souhait de connaître la bonne formule, mais l’aspiration profonde à se tenir dans l’attitude de Jésus en face de Dieu. Jésus répond : « Quand vous priez, dites … » (saint Luc 11,2) Cette prière, qui est devenue, avec le baptême, le point commun de tous ceux qui se reconnaissent chrétiens, c’est le Notre Père.

Depuis au moins le III° siècle, le Notre Père a été vu comme un résumé de tout l’Évangile ; et pourtant on est frappé par deux choses : sa simplicité ; c’est presque une prière d’enfant ; et toutes les expressions sont caractéristiques de la prière juive ; le Christ n’invente pas complètement ; imprégné de culture juive, il connaissait les Écritures. Pour dire aux disciples comment prier, il reprend et complète une prière juive, le Kaddish. Ceux qui prennent le temps sauront approfondir sous ces apparences ordinaires quelque chose d’unique, une plongée dans la vie intime de Dieu. « Dieu a parlé par son fils » (Lettre aux Hébreux 1,1-2)

Le Christ nous donne un texte pour prier ; et en même temps il nous dit : « quand vous priez, ne rabâchez pas. » (saint Matthieu 6,7-15) Sous le rabâchage, l’esprit étouffe, nous connaissons tous le danger qui consiste à réciter des formules routinières alors que l’esprit est ailleurs. Ce qui signifie que le Notre Père ne doit pas être dit mécaniquement, par cœur, mais pensé dans chaque mot, chaque verset, devenir une prière vivante et non une récitation. Saint Benoît dans sa règle pour les Bénédictins écrit : « Notre esprit doit être en harmonie avec notre voix. » On ne lit pas dans l’Évangile : « Répétez inlassablement cette formule » mais : « Quand vous priez, priez ainsi » Le Christ a livré à ses disciples le secret de son attitude dans toute prière. Mais nous avons toujours besoin de nous appuyer sur des prières car sans cette aide, notre prière et notre image de Dieu deviennent subjectives, reflétant davantage nous-mêmes que Dieu. Lorsque nous disons le Notre Père, nous prions avec des mots donnés par Dieu disait saint Cyprien.

Le Notre Père est de bout en bout, une prière de mendiant, disait le théologien Urs Von Balthasar ; une oraison introductive est suivie de sept demandes ; les trois premières parlent de Dieu, le « tu » y domine ; dans les autres le nous l’emporte et dans les trois dernières, il est question de lutte, d’épreuves, de souffrances, d’offense, du Mal, de nos besoins, de nos espérances. La demande située entre ces deux groupes de trois parle du Christ, il est le centre de notre prière au Père, c’est lui qui est venu pour faire la volonté du Père, et il est le pain de vie. Le Père Kolvenbach citait volontiers un prêtre orthodoxe qui enseignait le Notre Père en commençant par la fin, c’est-à-dire en remontant de ce que nous vivons, mal, tentations, offenses, besoins, et en s’élevant vers Dieu. Le père Barbarin a repris en partie ce même parcours dans son livre sur le Notre Père.

Demander c’est faire confiance à Dieu. Le besoin ne sera pas comblé par la prière ; en revanche, si cette demande est faite avec foi, on passe du besoin à la confiance, c’est Dieu qui prend le pas. « Tout est accompli » dit Jésus sur la croix. (saint Jean 19,3) Dès lors, que demander ? Dans le Notre Père, c’est notre rapport à Dieu qui s’exprime, c’est donc l’Esprit, Dieu, qui nous parle.

Je demande parce que je sais que seul, je n’y arriverai pas. Le Notre Père est finalement la liste de ce que j’ai à faire, les demandes deviennent ainsi un programme d’action ; demander n’est pas dépendre, car cela conduirait à l’inertie, au fatalisme, « je n’y peux rien, ce n’est pas moi, c’était écrit… » Je ne peux demander à Dieu si je reste passif,

 il faut que je travaille à ce qu’advienne ce que je demande

Alain DE GUIDO